mardi 15 mai 2018

Traversée de la Guyane à Tobago



C'est sous des trombes d'eau que, le jeudi 26 Avril, nous quittons le mouillage de Saint Laurent du Maroni.
Delphine appréhende un peu cette première navigation de 5 à 6 jours, seuls tous les 2. Mais en bon mari (et en bon capitaine), je m'efforce de la rassurer.
Nous descendons le fleuve en respectant scrupuleusement le chenal sous peine d'échouage sur un banc de sable !
Arrivés en mer, nous devons continuer à suivre le chenal qui change régulièrement de tracé au gré des dépôts de sédiments charriés par le Maroni.
Nous sommes à mi-marée et le courant est particulièrement fort. Anuanua qui n'a plus qu'un seul moteur utilisable peine à garder son cap et …. ce qui devait arriver arriva !
On se percute une bouée babord de plein fouet !
Heureusement que nos étraves sont en béton armé …
Plus de peur que de mal !
Mais, ça commence bien ...
Le courant traversier est si fort que nous avons du mal à naviguer dans ce foutu chenal.
Nous finissons par atteindre la sortie et prenons la direction de Tobago.
Les conditions de navigation sont désagréables : nous sommes au près, alors que d'après les fichiers météo, nous devrions avoir le vent par travers … et, en fait, c'est la houle qui vient par notre travers.
Le vendredi, la mer est un peu plus calme et nous en profitons pour faire sécher un peu tout ce qui est gorgé de l'humidité guyanaise.



A 18 h, Eric constate que le bout d'amure du gennaker frotte sur l'étai et menace de faire tomber le mât. On affale donc le gennaker et on envoie la grand-voile.
Mais, à 5 h 30 du matin, un grain arrive et le vent forcit. La barre ne répond plus !
Un des safrans est sorti de son logement et bloque tout le système de direction.
Bien sûr, le vent continue de forcir …
Eric réveille Delphine en urgence.
Nous filons à plus de 7 nœuds, sans possibilité de diriger le bateau !
Impossible de remettre le safran en place, trop de vitesse, trop d'efforts et de contraintes …
Alors, on affale la grand-voile en catastrophe, ça frotte sur le hauban arrière, ça veut pas descendre.
Mais à force de tirer dessus, on finit par y arriver.
Bien évidemment, la pluie a redoublé et nous sommes trempés. Delphine, sortie de sa couchette dans le plus simple appareil, grelotte.
Anuanua a ralenti et pendant que Delphine enfile un ciré, Eric regarde ce qui ne va pas au niveau du safran babord.
Mais, Anuanua, ballotté par les vagues et soumis aux caprices du vent, change de cap.
Un choc sur notre roof et un craquement sinistre nous glacent le sang.
En un instant, nous comprenons que la grand-voile, affalée mais pas ferlée (pliée le long de la bôme pour les néophytes) a été prise à contre par le vent et la vergue supérieure est venue taper contre l'angle du roof.
On sécurise cette foutue grand-voile et on constate que le problème de safran est dû à la disparition improbable de la demi-bride qui devait le maintenir en place !
Eric réalise rapidement un réparation de fortune qui permet à la barre de refonctionner.
On peut maintenant ferler la grand-voile correctement.
Mais là, consternation !
La vergue supérieure est plus que fissurée sur 60 cms, ce qui la rend complètement inutilisable !
Et la voile est déchirée …




On envoie donc le foc et nous recommençons à filer à 5 nœuds en direction de Tobago.
Nous sommes sains et saufs, plus de peur que de mal !
Le dimanche, bizarrement, tout se passe bien, la mer est assez calme et Eric en profite pour ré-accoupler l'axe de sortie de l'inverseur avec le tourteau de ligne d'arbre. Oui, c'est un peu technique ! et ceux qui ne comprennent pas ne doivent pas s'inquiéter, ils comprendront quand même la suite.
Il est 20 h, tout est remonté.
21 h, Eric va se coucher, Delphine prend son quart de veille.
03 h, Eric prend son quart, Delphine va se coucher (c'est la principe des quarts à 2 : y en a un qui dort pendant que l'autre veille!)
03 h 15, Eric descend se faire un petit café, et là, un inquiétant bruit de cascade dans le compartiment moteur !
Quand il ouvre le capot, il constate que tout le bas du moteur baigne dans l'eau et que le presse-étoupe, normalement immobile, tourne et brasse de l'eau !
Mise en route de la pompe de cale et en 30 secondes, la cale moteur est asséchée !
On peut chercher le problème.
Et il est vite trouvé : le tuyau en caoutchouc qui relie le tube d'étambot et le presse-étoupe est fixé par des serflex ; ceux-ci ont été mal placés, ils ont déformé le tuyau en caoutchouc, un des serflex a cassé et un autre montre des signes de faiblesse.


Du coup, un tout petit jet d'eau de mer rentre en permanence dans la cale moteur !
Après de nombreux efforts et grognements, Eric finit par réussir à ré-enfoncer un peu le tuyau en caoutchouc sur le tube d'étambot et à resserrer le serflex qui reste. Mais ce dernier donne d'importants signes de faiblesse. Néanmoins, la fuite semble maitrisée.


Il faudrait changer ce fichu serflex, mais si on l'enlève et que la pression de l'eau déboîte le tuyau en caoutchouc, on sera dans le pétrin … surtout qu'il n'est pas évident du tout que l'on pourrait le ré-emboîter correctement.
Eric décide de surveiller le problème et de n'agir qu'en cas d'aggravation, surtout que le bateau est à plus de 100 miles (200 kms) de la terre la plus proche ! 100 miles, c'est 24 heures de navigation …
L'eau de mer pénètre dans le bateau à raison d'un litre toutes les trois heures.
Certes, ce n'est pas beaucoup, mais ce serflex qui menace de se rompre à n'importe quel moment …
En plus, Eric découvre, au fond de la cale, un robinet probablement tombé du moteur !
C'est rassurant … surtout qu'il ne voit pas du tout d'où il peut provenir !


Nous devions passer un mois à explorer la côte à Tobago, mais avec un seul moteur opérationnel et une voie d'eau éventuelle, Eric prend la décision de rejoindre Trinidad pour mettre le bateau à sec et réparer correctement avant de reprendre l'aventure.
Pendant la fin du voyage, nous traversons un océan de sargasses qui sont des algues flottantes qui peuvent arrêter le bateau tellement elles peuvent être denses.

des sargasses de partout ...

Puis, nous voyons enfin la côte de Trinidad et profitons de notre dernière nuit au large.




Au matin du mercredi 02 Mai, un groupe de pélicans nous accueille et à 11 h 30, nous prenons un corps-mort dans la baie de Chaguaramas, devant Power Boats, le chantier où nous sortirons le bateau.




Cette première navigation en amoureux ne fut pas dénuée de sensations, mais pas celles que nous avions souhaitées.
M'enfin !  on l'a fait et ce fut notre baptême du feu !
Pas vraiment un feu de joie, mais ...
Il paraît que ce n'est pas dans une mer calme que l'on devient un marin !

vendredi 11 mai 2018

Guyane française - Saint Laurent du Maroni


Nous quittons Kourou, passons devant la tour Dreyfus à la sortie du fleuve Kourou et mettons les voiles direction Saint Laurent du Maroni où nous arrivons, après 24 heures d'une navigation sans histoire.

La tour Dreyfus



Nous sommes installés sur un corps-mort, juste à côté d'un cargo échoué et que la végétation a reconquis. D'ailleurs ici, les épaves rouillées, ça ne manque pas !


De l'autre côté du fleuve, le Suriname


Mouillage devant l'épave de l'Edith Cavell


En attendant, pour aller d'un bateau ancré jusqu'à terre, il faut une annexe et si possible un moteur hors-bord qui fonctionne !
Heureusement qu'on les a fait réviser à Jacaré, il y a tout juste 3 semaines !
Nous sommes donc condamnés à ramer ...
Mais comme il y a pas mal de courant dû aux marées, Eric décide de s'attaquer au petit Yamaha.
Nettoyage carbu, nettoyage bougie, rien n'y fait !
Et en plus, maintenant il ne refroidit plus …
Il faut changer la turbine, mais tout est grippé et au démontage, Eric abîme un joint.


Romain, salarié-gérant de la Marina nous informe qu'un amérindien d'un village voisin répare les hors-bords. Bonne nouvelle …
En attendant de récupérer nos deux moteurs, nous partons à la découverte de la ville et de son marché où les étals colorés exposent des tas de fruits inconnus …

Le quartier "officiel" de Saint-Laurent



des mangoustans

des fruits d'hibiscus

un chadek ( une variété de pamplemousse )

Un chadek pelé
Des haricots-kilomètre !

de la résine qui brûle pour éloigner les moustiques

On constate aussi que la Guyane, administrativement, c'est la France, mais dans la réalité, c'est pas du tout la France !

le marché aux poissons, nouvelles normes françaises sanitaires !

à l'épicerie chinoise ...

Des gens habitent dans des conditions d'insalubrité effarantes ( pas d'eau potable mais c'est pas grave, les nuages approvisionnent tous les jours, pas d'électricité et pas d'égout ! )

si, si, c'est habité, et c'est en France ...


Et on vous parle pas de l'état des plages le long du fleuve …



Nous passons aussi de longs moments, assis à la terrasse de la marina où nous attendons patiemment que les nombreux orages soient passés et que notre annexe se soit remplie d'eau.

en une seule averse ...

Et c'est là aue nous avons rencontré Doumé, un varois de Draguignan qui prépare un concert mêlant musique techno et musique Bushinengé (une des nombreuses ethnies de noirs-marrons qui vivent ici sur les bords du fleuve).
On assiste à la dernière répétition et au spectacle. Sympa et original.


Puis nous essayons de savoir comment faire pour remonter le Maroni pendant un ou deux jours, et à force de questionnements, nous finissons par avoir nos renseignements. Mais malheureusement, le budget est conséquent et nous devons nous résoudre à annuler ce projet.
On fera plutôt une excursion à l'embouchure du Maroni, sur la plage d'Awala, qui est un des rares lieux de ponte de la tortue luth, plus grosse tortue marine du monde pouvant peser plus de 600 kgs.
Samedi, nous nous retrouvons donc sur la plage à 22 h, heure de la marée haute. Armés d'une lampe frontale à lumière rouge ( pour ne pas éblouir les tortues ), nous commençons à arpenter la plage et trouvons grâce à d'autres observateurs, une tortue verte en train de pondre puis de remblayer le trou dans lequel elle a pondu. Mais cela lui prend beaucoup de temps et nous partons à la recherche d'autres tortues, plus loin sur la plage.


Nous finissons par remarquer un remous sur la grève et avons la chance de voir une tortue sortir de l'eau, nous regarder et continuer sa progression vers le haut de la plage pour aller pondre.
Instants magiques, indescriptibles ….
Et pour les photos, vous n'aurez que des photos récupérées sur Internet car il ne faut pas perturber les tortues avec les flashs, sinon elles retournent à la mer sans pondre !
Donc on n'a malheureusement pas pu faire de photos.
Et à 23 h30, les moustiques attaquent !
Produit répulsif ou pas, vêtements longs ou courts, c'est l'horreur ! Nous sommes obligés de retourner à la voiture pour nous mettre à l'abri …
Et rentrer à saint-Laurent-du Maroni, retrouver Anuanua qui nous attend sagement.

Le lendemain, Eric et Brigitte, de Chindoa et Sara et Aurélien, de Maloya nous proposent d'aller passer une nuit en carbet et de découvrir la flore guyanaise et les anciennes techniques de chasse traditionnelle.
Nous acceptons sans hésiter.
Et par une belle journée ensoleillée avec du ciel bleu (ce qui est rare pendant la saison des pluies ! ), nous arrivons au village de Javouhey.


un petit resto laotien local, car il y a beaucoup de laotiens en Guyane

Nous embarquons dans une pirogue pour 20 minutes de remontée de rivière.



Après plusieurs arrêts pédagogiques pour nous faire voir le cacao-rivière puis sa fleur et ramasser son fruit, nous découvrons le carbet.

la fleur

le fruit

les graines qui ont un goût de châtaigne

le carbet




L'après-midi est occupé à installer les hamacs, se baigner dans la rivière et discuter en se prélassant.


A la tombée de la nuit, aucun moustique ! Incroyable alors que nous sommes au milieu de la forêt équatoriale guyanaise …
Et après le barbecue, nous regagnons nos hamacs pour une bonne nuit de sommeil, malgré la visite inattendue d'une charmante mygale ! Une matoutou, de son petit nom ...


même si elle est inoffensive, elle inspire pas vraiment confiance ...

La pluie se met alors à tomber fort, très fort et parfois on dirait même le déluge !
Et les moustiques qui avaient dédaigné le carbet jusqu'à maintenant, se sont donné rendez-vous dans notre petit havre de paix.
Au petit matin, c'est constellés de piqûres que nous nous réveillons après une bien mauvaise nuit !
Delphine qui a été piquée à la paupière ne peut même plus ouvrir l'oeil.

non ! elle ne vous fait pas un clin d'oeil !

Et, c'est borgne qu'elle fera la balade de découverte de la forêt.
La pluie a cessé et nous suivons notre guide pour une première approche de la flore guyanaise et une démonstration des techniques de chasse utilisées.

une liane



un fruit tombé de son arbre



un ficus étrangleur

Avec les racines de certaines plantes parasites qui vivent en haut des arbres, on a même pu se prendre pour Tarzan ou Jane.



Ce fut vraiment un séjour dépaysant et très instructif où l'on a pu se rendre compte de l'immense richesse en plantes médicinales de cette forêt équatoriale qu'il est si important de sauvegarder pour l'avenir de l'humanité.